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Paléoécologie de la Calestienne

1.  Préambule
A. Concepts
1°. De l'objet et de la méthode
2°. Les fossiles et la fossilisation
3°. Les théories de l'évolution
4°. Les datations
B. Le but de cette page
2. Paléogéographie
3. Paléozoologie
4. Paléobotanique
5. Paléoécologie

1.  Préambule

A. Concepts

. De l'objet et de la méthode

Le passé n'est plus. Le passé n'est pas accessible à l'expérience et donc la méthode expérimentale ne peut plus s'utiliser. Nous ne sommes plus dans une science expérimentale. Ce n'est pas une science historique car l'histoire ne commence qu'avec l'apparition de l'écriture et des témoignages humains.
Cette science est la paléontologie (du grec "paléo": "ancien" et "ontos": "l'être"). Etant donné le rôle fédérateur de l'écologie actuellement, il est peut-être pertinent de parler de paléoécologie (toujours du grec "paléo": passé, "oikos": habitat, et "logos" : parler) quand on veut désigner les recherches sur les êtres vivants et leur vie passée.

2°. Les fossiles et la fossilisation

Etymologiquement fossile signifie "tiré de la terre" (du latin fodio, is, fodi, fossum = creuser, fouir) et on trouve principalement deux types de définitions:
* un fossile désigne toute trace ou reste d'être vivant aujourd'hui disparu; dans ce cas les "fossiles vivants" sont des exceptions car ils appartiennent à des êtres vivant actuellement mais dont les restes peuvent être très anciens.
* un fossile désigne toute trace ou reste d'être vivant mort trouvé dans une roche sédimentaire ; les exceptions sont les organismes conservés dans l'ambre, qui est une résine fossile (insectes comme des fourmis datant de l'ère tertiaire; des rhinocéros momifiés dans les asphaltes des Carpates, les mammouths congelés dans les glaces de Sibérie et dont l'estomac gardait encore «surgelées» les dernières plantes qu'ils avaient ingérés.

La fossilisation désigne l'ensemble des phénomènes qui conduisent à la formation d'un fossile ou plus précisément à la conservation des êtres vivants ou de leurs traces dans les sédiments puis dans les roches sédimentaires.
A sa mort le cadavre d'un être vivant est enfoui progressivement dans le sédiment (enfouissement).

Le sédiment étant un milieu de vie, la matière organique du cadavre est habituellement rapidement et entièrement oxydée par les microorganismes du sédiment (en H2O, CO2, CH4, NO3-, SO42-...).  Parfois la minéralisation de la matière organique n'est que partielle et des hydrocarbures ou des gaz organiques peuvent être produits lorsque l'accumulation de cadavres est très importante. Parfois encore, dans des conditions très particulières (fortement réductrices ou à une température très basse) qui empêchent l'oxydation de la matière organique, cette dernière peut se dessécher et être conservée (dans l'ambre, l'asphalte, la glace; on cite également des fragments de peau momifiés de quelques Reptiles de l'ère secondaire (Iguanodon, Anatosaurus  et Ichthyosaurus) ainsi que les micro-organismes fossilisés dans les silex qui auraient conservé leur matière organique toujours susceptible de coloration).

Pendant la diagénèse qui affecte le sédiment incluant le fossile en formation, les éléments minéraux du cadavre subissent les mêmes transformations que sa gangue. C'est pour cela qu'il faut des conditions très particulières pour que les structures de l'être vivant soient conservées. Les parties dures (os, dents, coquilles, squelettes minéralisés d'une façon générale...) se conservent bien évidemment le plus facilement, bien qu'elles soient la plupart du temps recristallisées. La cristallisation nouvelle peut se faire soit avec le même minéral; soit avec un autre minéral.  Les parois végétales, organiques mais fortement indurées par la lignine, peuvent aussi s'imprégner de silice et conserver ainsi leur forme (bois silicifiés). Lorsque l'on a remplacement d'un élément (minéral ou organique) par un autre, avec conservation plus ou moins fine de la structure, on parle d'épigénie, ou d'une façon plus générale, de métasomatose (si l'on veut désigner le phénomène de croissance minérale avec remplacement d'un minéral par un autre).  Les traces les plus fréquentes sont les moules internes et externes des coquilles d'invertébrés: seul le sédiment remplissant la coquille ou moulant l'extérieur de celle-ci conserve la trace de l'animal lors de sa transformation en roche sédimentaire. La forme de la coquille est alors conservée du fait de l'arrangement spatial des cristaux de la roche sédimentaire formant le moule: il n'y a plus aucun élément ni minéral ni organique appartenant à l'animal fossilisé. Très rarement on retrouve des empreintes de parties molles.

3°. Les théories de l'évolution

Le créationnisme est une doctrine religieuse fondée sur la croyance laquelle la vie, la Terre, et par extension l’Univers, ont été créés par Dieu, selon des modalités conformes à une lecture littérale de la Bible.

Apparue en opposition à la théorie de l’évolution adoptée par la communauté scientifique, le débat entre les deux positions est souvent polémique et relève d'enjeux politiques importants, notamment : enseignement, liberté d'opinion et de croyances, en particulier aux Etats-Unis.

Dans ce type de doctrine, la lecture des textes bibliques est fondamentaliste, en particulier pour les mouvements s'apparentant à un courant chrétien né à la fin du XIXème siècle en Amérique du Nord dans les milieux protestants. La lecture littérale est refusée par la majorité des Églises chrétiennes actuelles, qui rejettent d'ailleurs le créationnisme pour ces raisons, privilégiant une lecture herméneutique, c'est-à-dire interprétative. La plupart des traditions religieuses monothéistes, postulent tout de même, de manières diverses, la création du monde par Dieu.

Le fixisme est la croyance selon laquelle il n'y a ni transformation ni dérive des espèces végétales ou animales. Chaque espèce serait apparue telle quelle au cours des temps géologiques. C’est déjà une évolution des pensées par rapport au créationnisme car cette croyance admet l’apparition de nouvelles espèces au cours des temps géologiques bien qu’elle renie le processus évolutif par lequel de nouvelles espèces vivantes apparaissent. C'est donc une théorie qui renie la spéciation et qui s’oppose aux théories de l’évolution.

L’actualisme est une doctrine selon laquelle les phénomènes géologiques du passé s’expliquent de la même manière que les phénomènes aujourd’hui observables.  Le principe des causes actuelles nous permet de dire que les causes de l'évolution sont actuellement décelables car actuellement en jeu. Je précise : les causes et non pas forcément les mécanismes, dans le sens où il peut très bien y avoir eu des étapes dans l'évolution qui sont passés et ne se reproduiront plus. Ce sur quoi il est nécessaire de s'accorder c'est sur la causalité et donc sur la validité des lois expérimentales par le passé. Les lois expérimentales découvertes actuellement s'appliquaient par le passé.
En énonçant ce principe, le scientifique sait qu'il fait reposer sa connaissance sur un principe raisonnable, mais qui n'est pas scientifique, dans le sens où il n'est pas démontrable expérimentalement. Toute discussion de la validité de ce principe reste dans le cadre d'une discussion scientifique, mais se fait, non pas avec les outils du scientifique, mais avec ceux du philosophe.

Le catastrophisme est une théorie scientifique qui tente de construire rationnellement les croyances sur l'origine du monde et sur l'évolution des espèces en mettant en avant l'impact qu'auraient eu des catastrophes de courte durée, violentes et inhabituelles.

Avant l'émergence de la théorie de l'uniformitarisme, la croyance dominante sur la création du monde et l'apparition de la vie relevait essentiellement (et pas seulement dans un contexte chrétien) d'une conception dite irréaliste. En Europe, l'idée d'une grande inondation, popularisée par la Bible, est un exemple typique de ces croyances. Cette théorie s'appuyait par ailleurs sur certaines observations géologiques et paléontologiques.

Le partisan scientifique le plus notable du catastrophisme au début du XIXème siècle était Georges Cuvier. Il cherchait à expliquer les extinctions et la présence de successions de faunes différentes sur les divers étages géologiques.

Selon cette théorie, les espèces s'éteignaient à cause de catastrophes, suivies par la formation de nouvelles espèces ex nihilo c'est-à-dire que les espèces éteintes étaient retrouvées sous la forme de fossiles et que les espèces nouvelles étaient considérées comme immuable. Cette théorie était en accord avec l'épisode biblique : les fossiles étaient les restes d'espèces n'ayant pas trouvé de place sur l'Arche de Noé.

L'uniformitarisme est une version très différente, qui stipule que les mécanismes actuels sont les mêmes que par le passé. Il ne s'agit plus des causes, mais des phénomènes eux-mêmes, de leur vitesse... on y oppose le catastrophisme, qui lui préfère des mécanismes différents.

Au début du XIXème siècle plusieurs nouvelles théories commencèrent à remettre en cause le catastrophisme. L'une des plus importantes d'entre elles, le transformisme, fut développée par Jean-Baptiste de Lamarck. La théorie de l'évolution allait ensuite définitivement supplanter le catastrophisme.

Le transformisme est une théorie biologique, rivale du fixisme, dont l'histoire remonte à l'époque où Jean-Baptiste de Lamarck énonça sa fameuse théorie sur l'évolution des espèces. Elle désigne aujourd'hui indifféremment toute théorie impliquant une variation (ou transformation) des espèces au cours de l'histoire géologique.

L’évolutionnisme soutient que les organismes vivants sont en perpétuelle évolution, grâce notamment au phénomène de sélection naturelle qui fait qu’au sein d’une même espèce, les individus les plus adaptés à leur milieu se reproduisent davantage que les autres. Et que toutes les espèces (l’homme n’est pas exclu de ce schéma) descendent d’un ou de plusieurs ancêtres communs. Un bouleversement dans la vision traditionnelle chrétienne qui prévaut alors, et pour laquelle les créatures en tout genre qui peuplent la planète sont des créations divines, immuables et indépendantes les unes des autres.

La théorie de l’évolution au sens darwinien du terme est actuellement le meilleur cadre conceptuel que nous ayons à notre disposition pour comprendre rationnellement l’instabilité du vivant, pour penser un monde naturel essentiellement dynamique.

4°. Les datations

Dans le domaine préhistorique (avant l'histoire, qui commence avec l'apparition de l'écriture et donc vers -4000 ans, à -2000 ans selon les régions, avant Jésus-Christ) ou plutôt paléontologique, les techniques de datation sont souvent qualifiées un peu rapidement soit d'absolues soit de relatives.

a) Datations absolues

Les datations absolues sont faites sur des objets matériels (minéral, roche, inclusion fluide...) et les résultats sont fournis avec une incertitude.
La méthode la plus employée est la datation isotopique.

On utilise des couples d'isotopes (l'un instable et l'autre stable) et des isotopes stables de référence. Un élément isotopique père instable se transforme en un élément fils stable par émission de particules alpha (noyaux d'He), bêta (électrons) ou gamma (photons), selon une loi de désintégration qui est fonction du temps.

Sa formule générale est : dN/dt = N l dans laquelle :

On peut extraire t qui est donné par la formule: t = 1/l ln[No/N] où No est la quantité initiale de l'élément N radioactif au moment de la fermeture du système.
Cette loi est expérimentale, établie à partir d'échantillons actuels est supposée valable par le passé (l'actualisme est donc un premier postulat).
On a donc un deuxième postulat: le système ne s'est pas réouvert depuis sa fermeture. En d'autres termes, la disparition de l'isotope père ne se fait que par radioactivité.
On utilise habituellement la période T (ou demi-vie) qui est le temps nécessaire pour que la moitié de la masse initiale de l'élément père ait disparu (T = 1
/l ln2).

L'incertitude dépend d'une part de l'élément considéré et de sa constante radioactive (certains isotopes sont adaptés à la mesure d'objets très anciens (238U par exemple), d'autres très récents (14C par exemple)). Voici un tableau qui donne quelques périodes pour quelques couples.

Éléments radiogènes

Éléments radiogéniques

Type de radioactivité

Période (T) en années

238U

206Pb

alpha

4,468.109

235U

207Pb

alpha

0,704.109

232Th

208Pb

alpha

14,01.109

40K

40Ar + 40Ca

gamma

1,25.109

87Rb

87Sr

beta

48,8.109

14C

14N

beta

5,568.103

147Sm

143Nd

alpha

1,06.1011

L'incertitude dépend d'autre part de la quantité d'élément radioactif dans l'objet analysé: la mesure de concentration se fait à l'aide d'un spectromètre de masse. L'incertitude de cette mesure est d'autant plus faible que la teneur en élément est grande, et cette incertitude doit être prise très au sérieux car elle peut conduire à des erreurs monumentales.

Prenons un exemple pour illustrer cette incertitude ou plutôt devrions-nous parler de ces deux incertitudes.

Des géologues ont daté un petit morceau de granite de 180 millions d'années grâce à des techniques très complexes et chères. On mesure des quantités extrêmement petites d'éléments très lourds et très rares comme le plomb ou l'uranium présents dans la roche ou dans de toutes petites des bulles de gaz ou de liquides piégées dans la roche lors de sa solidification à partir du magma: ces éléments se décomposent l'un dans l'autre au cours du temps: par exemple l'uranium se transforme petit à petit en plomb. Mais cet âge qui dépasse l'imagination est donné avec deux incertitudes: c'est-à-dire deux conditions qu'il faut connaître pour comprendre la valeur incertaine de ce chiffre.  D'abord il y a une incertitude liée à la mesure parce que les quantités sont tellement petites que l'on peut se tromper un peu: pour ce granite elle est de 10 millions d'années, ce qui veut dire que l'on pense que l'âge du granite est compris entre 190 millions d'années et 170 millions d'années.  Ensuite il y a une autre incertitude qui est une condition beaucoup plus gênante car elle fait que l'on peut se tromper complètement sur l'âge qui n'est peut-être pas de 180 millions d'années mais 500 millions d'années comme 1 million d'années, c'est pourquoi on l'appelle une incertitude absolue: celle-ci est due au fait que si l'on trouve très peu d'éléments que l'on cherche à trouver dans la roche (plomb par exemple), ce peut-être non pas parce que la roche est très jeune (très peu d'uranium s'est transformé en plomb) mais parce que le plomb s'est échappé de la roche pour une cause ou une autre (oxydation et lessivage par les eaux d’infiltration par exemple). C'est donc pour cela que les géologues sont toujours très prudents et savent bien que les âges qu'ils donnent ne sont vrais que si cette condition est remplie, ce qui n'est jamais sûr.

Ces deux incertitudes incitent les géologues à utiliser en complément d’information la datation relative

b) Datation relative

Cette méthode consiste à comparer logiquement des objets (matériels ou formels) entre eux et en déduire des relations relatives à leur chronologie. Comme toute datation, elle repose sur l'actualisme. Les principes logiques les plus utilisés sont:
* le principe de superposition (stratigraphique): Une couche sédimentaire est plus récente que celle qu'elle recouvre; qui peut être généralisé en un "principe de recouvrement" : Une structure (couche sédimentaire ou volcanosédimentaire ou coulée volcanique...) qui en recouvre une autre est postérieure à cette dernière.
* le principe de continuité (stratigraphique): Une couche sédimentaire limitée par un plancher (à la base) et par un toit (au sommet) et définie par un faciès donné (ensemble des conditions de dépôt du sédiment ayant donné naissance à la roche) est de même âge en tous ses points; qui peut être généralisé en un "principe d'extension": Deux structures voisines (couches sédimentaires ou volcanosédimentaires ou coulées volcaniques...) présentant les mêmes caractères lithologiques et/ou biologiques (faciès lithologique et biologique) sont de même âge et formaient par le passé une structure continue.
* le principe d'identité paléontologique: Deux couches ou deux séries de couches sédimentaires de même contenu paléontologique en fossiles stratigraphiques (fossiles caractérisés par une extension géographique maximale et une extension chronologique minimale) ont le même âge.
* le principe de recoupement: Toute structure qui en recoupe une autre est postérieure à cette dernière.
* le principe d'inclusion: Toute structure incluse dans une autre lui est antérieure.

Ces techniques de datation absolue et relative ont permis d'établir une échelle des temps géologiques ou échelle biostratigraphique, qui tient compte du maximum de résultats obtenus par toutes les méthodes accessibles. Elle est en incessant remaniement, du moins dans le détail des subdivisions temporelles.

B. Le but de cette page

Le but de cette page est d'essayer de dresser un état des lieux de la Calestienne au cours du Dévonien. 

Pour cela nous allons nous référer à deux disciplines principales : la paléontologie botanique et la paléontologie zoologique. Ces deux disciplines ont pour objet premier de reconstituer la morphologie, l'histologie, la reproduction, enfin l'évolution des espèces anciennes à partir de leurs restes fossiles.  Si nous ajoutons à cela une analyse du milieu de fossilisation vis à vis de la distribution de ces restes nous pouvons définir le milieu de vie et les relations et interactions entre les végétaux/animaux anciens et leur milieu. C'est ce que nous pouvons appeler paléoécologie.

2. Paléogéographie

Il y a 385 millions d'années, au début du Dévonien, alors que la majorité des terres se situent à 30° de latitude sud, la Scandinavie et la Russie appelées "Baltica" et l'Amérique du Nord et le Groenland appelés "Laurentia se trouvent réunies pour former un nouveau continent : "Laurussia" (ou Euramérica). Cette réunion produit le plissement calédonien qui fait émerger les terres, élève des chaînes de montagnes au Nord et produit un enfoncement de la partie sud. Ces montagnes avaient des sommets qui culminaient à 1500 - 2000 m d'altitude et qui séparaient le plateau aride du désert du Nord des marais côtiers couverts de végétation luxuriante au sud, région nous intéresse.

 

3. Paléozoologie

La mer s'engouffre donc au Sud-Ouest en direction du Nord-Est et s'attaque aux chaînes de montagne créant ainsi des falaises. L'érosion de cette côte rocheuse, formée de schistes et de quartzites cambriens, occasionne des sortes d'éboulements de falaises, des roches qui se disloquent. Les débris s'accumulent, puis sont roulés par les vagues, les courants et les tempêtes : ils forment des galets de toutes tailles. Ces galets, cimentés par les sédiments plus fins déposés par la mer sont à l'origine du Poudingue de Fépin qui est le témoin de la première transgression de la mer vers le Nord.

Nous sommes il y a 360 millions d'années alors que la désagrégation des monts érigés par le plissement calédonien continue, la mer a encore progressé vers le Nord et ici se déposent en eau calme, à distance de la côte, en quantités phénoménales des sédiments fins, argileux et siliceux de couleurs différentes.

La mer arrête de temps en temps sa progression vers le Nord pendant que les fleuves apportent en quantités colossales des dépôts fins terrigènes constitués de sables (donnant des Quartzites et des Grès) et des boues (donnant des Argiles et des Schistes). Mais on peut considérer malgré les petits arrêts, que l'allure générale au cours des tempos géologiques est une progression de la mer vers le Nord.

Elle envahit le sud du Brabant ce qui n'entraîne pas pour la région que nous étudions une augmentation de profondeur. La côte est maintenant bien loin de nous. La mer est calme, ce qui favorise les dépôts terrigènes les plus fins, ce qui nous donne un schiste au grain très fin. La faible profondeur, le calme, la chaleur, l'oxygénation de l'eau permettent l'installation des premiers récits de stromatopores et des premiers récifs de coraux tant coloniaux que solitaires.  Les récifs de coraux offrent un habitat des plus luxueux pour une foule d'animaux qui y vont trouver refuge et vont proliférer : brachiopodes, gastéropodes, bivalves, crinoïdes, trilobites, bryozoaires,...  C'est dans cet environnement que vont vivre aussi les prédateurs que sont les scorpions de mer

Les récifs coralliens vont modifier la morphologie de la région.  Ici et là apparaissent des îles au socle calcaire. Ce calcaire est donc formé de squelettes de coraux, de squelettes de stromatopores, de coquilles écrasées et d'argiles, le tout faisant un banc calcaire.  Tous les calcaires ont ici une origine biologique.

On peut raisonnablement penser que la mer a continué son chemin vers le Nord laissant derrière elle une immense mer peu profonde très chaude où le calcaire a pour origine le carbonate de calcium fixé par les animaux au niveau de leur coquille et de leur squelette. Les calcaires fins sont d'anciens dépôts issus de l'érosion des récifs, des squelettes et des coquilles. C'est dans ce milieu que nous retrouvons une quantité impressionnante de coraux coloniaux, et solitaires dont le plus célèbre est sans nul doute la petite Calceola Sandalina, dont de nombreux exemplaires ont été découverts sur la route Couvin-Chimay.

Les trilobites sont aussi de la partie.  Bien que déjà en voie de régression, ils sont encore bien présents.  Certaines zones de la Calestienne en sont truffées et livrent des exemplaires assez impressionnants de beauté.

Le temps passe et nous arrivons à la fin de l'Eifelien (Couvinien supérieur). Nous sommes toujours dans cette lagune côtière, peu profonde, chaude et bien oxygénée. La région que nous étudions migre doucement mais sûrement et arrive maintenant aux environs de l'équateur. Le climat est donc très chaud et toutes les conditions sont réunies pour que la vie se développe faisant la part belle aux brachiopodes, bivalves bryozoaires et coraux. Ces deux derniers groupes, commencent, dans ce contexte, leur expansion.

Nous allons bientôt quitter l'Eifelien pour entrer dans le Givetien. Nous sommes dans une période calme et assez stable. Une myriade de brachiopodes, de bivalves, de gastéropodes, d'animaux macro et microscopiques vivent, se reproduisent et meurent dans cet environnement de la lagune côtière du Dévonien.

Les restes de coquilles d'animaux morts se déposent au fond des eaux, s'empilent en quantités colossales, s'écrasent les uns les autres, se réduisent mutuellement en poussière calcaire qui s'amalgame et forme ainsi un calcaire compact dans lequel, par moment, vient se déposer un peu d'argile donnant un calcaire argileux et parfois un calschiste. C'est le type de roches que nous trouvons fréquemment en bordure des grandes carrières qui extraient le Calcaire bleu-noir du membre des Trois Fontaines. Un calcaire argileux gris-bleu sur cassure fraîche prenant une patine brune, terne, finement feuilletée, avec à certains endroits, un calschiste brun-beige-ocre, peu de calcite et de nombreux brachiopodes en bon état de conservation. C'est le paysage typique de la Formation de Hanonet.

Le Dévonien est, et tous les scientifiques s'accordent pour le dire, l'ère des poissons.  Ils sont apparus à la fin du Silurien et se sont diversifiés durant le Dévonien pour donner naissance à tous ceux qu'on connaît maintenant. Pratiquement, tous les grands groupes actuels étaient déjà là.

Les premiers poissons sont apparus à la fin du Silurien (vers -420 Ma). C'étaient des poissons sans mâchoire (Agnathes) qui sont pratiquement tous disparus au Dévonien; le seul survivant de ce groupe est la lamproie actuelle. Rapidement, ils ont donné naissance aux poissons à mâchoire: les placodermes, poissons cuirassés dont le corps était protégé par une véritable armure fabriquée de plaques de carbonate de calcium (ex., le célèbre Bothriolepis du site fossilifère de Miguasha, en Gaspésie), et les sélaciens, des poissons cartilagineux (ex., les requins actuels).

 

Ils ont aussi conduit aux poissons osseux primitifs, les ancêtres des poissons osseux actuels. Parmi ces poissons osseux primitifs, il y a les crossoptérygiens; le fameux coelacanthe Latimeria qui vit dans l'archipel des Comores, en Afrique, et qu'on qualifie de fossile vivant, est le seul survivant des crossoptérygiens.

Par ailleurs, les crossoptérygiens ont donné naissance au premier amphibien à la fin du Dévonien (vers -370 Ma).

Mais continuons notre histoire chronologique... Nous entrons maintenant dans le Givetien qui est aussi marqué par une très grande proportion de calcaires construits. Cette fois, il n'y a pratiquement plus d'apports terrigènes. L'eau est très claire, voire limpide et très chaude ce qui implique que la mer a pratiquement arrêté son avancée vers le Nord ou que la côte est si loin que cela n'a pratiquement plus aucune incidence sur l'écosystème. Les coraux coloniaux se développent et construisent des récifs peu épais et très étendus : les biostromes. Nous pouvons observer une faune très variée de coraux allant des Stromatopores aux Thamnoporidés en passant par les Hexacoralliaires, les Tabulés et les Tubulés. Nous pouvons aussi observer des coraux solitaires du genre Domhophyllum... Parfois, une petite reprise de la transgression marine apporte quelques sédiments boueux formant ainsi de-ci, de-là, quelques couches de schistes, dans lesquelles nous pouvons observer des Brachiopodes des Bivalves et autres Orthocères.

Nous trouvons, de cette période, des roches faisant partie des Calschistes du Membre de Terre d'Haurs, Calcaire argileux foncé parfois crinoïdique avec Spirifer Mediotextus et Stringocephalus Burtini et les fameux Calcaires noirs du Membre des 3 Fontaines,

Calcaire bleu-noir brillant, massif, dur, peu stratifié en gros blocs, portant des veines de calcite massive blanche avec par endroits, de petites mouchetures de fluorite et de dolomite avec Stringocephalus Burtini, Lucina Proavia, Phacops Fernandini et Orthoceras, calcaire exploité dans la carrière de Givet, la carrière Frimoye de Olloy-sur-Viroin, la carrière de Resteigne...

Le Frasnien est une période pendant laquelle, la mer, avançant toujours vers le Nord, atteint la Campine. Les roches du Frasnien sont très différentes selon les régions géographiques. Nous pouvons trouver des biostromes ou des dépôts de calcaire fin. Ces deux roches ont été formées en période stable, la première par la construction latérale de récifs de corail, la seconde par l'érosion de ces récifs quand ils affleurent suite à un soulèvement du fond marin. Nous pouvons aussi trouver des biohermes car, par endroit, le fond marin s'est affaissé (subsidence) et les animaux constructeurs se sont développés les uns sur les autres. Nous pouvons aussi trouver des schistes noduleux car, par endroit, la subsidence a été plus forte et les biohermes en sont morts.  Ils se sont disloqués, ont été roulés en galets et ont été recouverts par des boues. Enfin, par endroit, nous ne trouvons que des schistes très feuilletés, verts à violets car la subsidence a été trop forte pour permettre le développement de tout récif de corail. Il ne s'est déposé que des boues argileuses où vivaient une multitude de brachiopodes.

N'oublions pas les Mud Mounds, ces masses de boues riches en brachiopodes, en coraux dans lesquelles les algues microscopiques ont synthétisé les sels de fer pour former les fameux récifs de marbre rouge de Rance, Philippeville, tandis que toutes les autres roches, peuvent être observées à divers endroits bien spécifiques comme près du lac de Virelles, à Rochefort. Sans oublier la fameuse couche des "monstres" là où se sont développés d'énormes brachiopodes de la famille des Spiriféridés et des Atrypidés que nous pouvons observer à Petigny mais aussi et surtout à Heyd et Barvaux.

Nous quittons le Frasnien pour entrer dans le Famennien. A cette époque, la poussée des plaques formant le Gondwana fait se soulever le fond marin. La mer se retire du Brabant mais continue à recouvrir la région Rochefort-Beauraing-Givet-Couvin. Plus proche de la côte que durant le Frasnien, cette région reçoit les argiles et les sables qui donneront les schistes et les grès. Dans ces conditions d'intense sédimentation, les récifs ne savent plus se développer. Par contre, on trouve beaucoup de brachiopodes, des Spiriféridés et des Rhynchonellidés. Nous trouvons ces roches des Assises de Senzeilles, de Mariembourg, d'Esneux, de Souverain-Pré, de Monfort, d'Evieux et de Comblain-au-Pont dans différentes régions de Belgique mais surtout dans la région de Marche-en-Famenne sans oublier la "tranchée de Senzeilles", lieu mondialement connu au niveau géologique où on a pu déterminer avec précision le passage du Frasnien au Famennien.

4. Paléobotanique

Dans les fleuves se développent des herbiers qui sont régulièrement arrachés lors des crues.  Les débris végétaux se déposent dans les estuaires ou en bord de mer, sont englués dans la vase et se retrouvent aujourd'hui fossilisés dans des schistes finement lamellés.

Sur terre ce sont des plantes du style Rhacophyton qui s'imposent.  Rhacophyton est un genre de plantes fossiles de l'ordre des Rhacophytales, connu au Dévonien supérieur, en Amérique du Nord, Europe et Sibérie. Sa position taxonomique est incertaine : on le considérait généralement comme un genre de fougères primitives. La présence d'une stèle présentant une anatomie en "Clepsydre" permet de plus de l'exclure des Progymnospermes

Les fossiles attribués à Rhacophyton sont des compressions d’axes ramifiés qui ressemblent à des frondes de fougères et qui portent des appendices terminaux dichotomes ou des sporanges.

Rhacophyton est très abondant dans les localités d’âge Dévonien supérieur. Il domine largement certains assemblages de milieux marécageux et co-dominait avec les arbres du genre Archaeopteris dans les milieux plus secs.

5. Paléoécologie

Synthétisons ce qui vient d'être développé :

  • transgression marine
  • situation tropicale à équatoriale de nos régions
  • lagune côtière peu profonde avec fleuves, chenaux, et zones humides
  • végétaux aquatiques laminaires et végétaux terrestres en forme de fougères
  • établissement de récifs de coraux coloniaux et solitaires donnant asile à une foule d'animaux :
    • Brachiopodes
    • Mollusques bivalves
    • Mollusques gastéropodes
    • Mollusques céphalopodes
    • Crinoïdes
    • Trilobites
    • Poissons
    • Tétrapodes

    Voilà à quoi devait ressembler la région il y a 350 millions d'années :

 


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Luc Van Bellingen

 

 

 

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