Pays de Charleroi

...avec l'aide et le concours de

  • Jacques Bertrand,
  • Bob Deschamps
  • Lucien Aerts et son groupe de théâtre et chants wallons
Souvenirs
Paquet d'toubac
Jacques Bertrand
Lolotte
El quézènne au Mambourg
Bob Deschamps
Chârlerwè qué sale payis
Complainte du cheval dans la mine 1
Complainte du cheval dans la mine 2
Complainte du cheval dans la mine 3
L'homme qui ne voulait pas mourir
Galibot
L'silicosé
Tu seras mineur, mon fils !
Poussière
Chant des mineurs
 

Souvenirs

Souvenirs d’enfance… 

Souvenirs de "Mon beau Pays Noir"

Oui, Mon "Pays Noir"... Mon pays d'industries, de charbonnages et de sidérurgie,

Mon pays au passé social très riche... et parfois très lourd...

Et n'en déplaise à certains politiciens bcbg qui voudraient "gommer" ce nom et "oublier" cette passé qui a fait la richesse économique de notre pays tout entier, je dis haut et clair que j'ai des racines et je veux les préserver.

"La différence entre un homme qui a des racines et un autre qui n'en a pas c'est comme comparer un arbre et un poteau.  Le premier grandit, s'épanouit... et l'autre est sec et pourrit rapidement."

Je suis un Belge mais aussi et surtout un Carolo et un Wallon et j'en suis fier !!!


Paquet d'toubac

Petite histoire que j'ai composée en souvenir d'un personnage de mon quartier, un vieux retraité de la mine qui vivait dans une petite maison au pied du terril et un joueur d'accordéon haut en couleurs qui enjolivait nos soirées et nos après-midi avec ses histoires et ses chansons.

 

En Wallon de chez nous...

Dji va vô raconter ène pètite histwère…
Ene histwère qu’è vréye…
 
Èl cène s’passe au comins'min des anèyes swèssantes.
 
Quand djèstè gamin, dins l’rue Appaumée, y gnavè ène fosse èyè in terril.
 
Y gnavè saquant z’anèyes qu’èl fosse n’toûrnè pû, adont tous les mercredis èyè tous les sam’dis, tous les gamins du coron s’rtrouvè d’sû l’terril ou d’su coû d’èl fosse pou djouer.
 
Dins l’timps, les terrils ont stî, pou tous les gamins, in lieu d’plaijî.
 
Quand on d’avè s’sau d’jouer, on s’achidè d’su l’diseu du terril è on sondjè au timps où l’fosse tournè cô.
Les djous d’condgî, au pî du terril d’Appaumée, on ratindè no’s pâ qui r’montè d’èl fosse à l’pause di twès heures.
 

"le mineur" dessin anonyme

 
On l’i d’mandè in bouquet d’rolle di chique di toubac pou donner à l’accordéyonisse qu’on applè « Paquet d’toubac », qui, pou ène rolle di chique di toubac no djouè des arguédènes.  C’estè pou nous, gamins achîs au pî du terril.  Des heures èyè des heures î djouè pou nous.  C’estè nos plaijî, èl jwè d’èl djonnesse.
 
Si î s’arrêtè, c’estè pou printe ène chique ou bin pou boire ène goutte di pèquet, dijant qu’cestè pou disloyî ses dwès, in r’mède cont’ les rumatisses, pou sawès fé des triolets avou s’n’accordèyon.  Il attaquè des airs d’èl Balancwère du Noir Batisse, Capitte au Blanc Baudet eyè des airs d’El Tourniquet.
 
El dimègne à Chalèrwè, su’l place du martchî, î tchantè les tchansons di Djacques Bertrand, les tchansons des ouyeûs, di leu misères, di leu travail, des accidins au fond du trau, des grandes grèves de '68, des caups d'grisou qui ont tuwé des ouvrîs au fond d’èl fosse.
 

"Mineurs au travail" dessin anonyme

 
Tout çoulà est pierdu pasqu’on n’tchoutè né c’qui disè.  On dijè qu'c'èstè des biestrîyes.
 
El timps a passé, èl vî timps est woutte.  Quarante ans ont passé. No s’ton au timps d’èl vitesse, des Spoutniks qui vol'nu dins l’espace, au timps di l’Internet.
 

"Effondrement dans la mine" dessin anonyme

 
Hélas, l’accordéyonisse « Paquet d’toubac » n’est pu,  èyè s’maison au pî du terril non pu.  Les molettes d’èl fosse ont disparu èyè l’terril ètou. Tout çoulà est woutte.
 
Ast’heure, à l’place du terril î gna in parc à containers è in parking èyè d’sû l’fosse c’est s’t’in parc avou des parterres, des aûps, des serres èyè les nouvia bâtimins d’el commune.
C’est bia, c’est prop’ èyè dins l’quartier on n’èttint pu qui les pètarades des motos.
Tout çoulà n’vaut né « Paquet d’toubac » avou s’n’accordèyon.
 

"Coup de grisou" dessin anonyme

 
Min quand dji va m’pourmwèner dins l’bos d’Soleimont, dji passe dlé l’terril èyè dlé l’fosse du Bos d’Abbye.  Quand souffèle in grand vint, dins les aûps, î m’chène qui d’j’èttins l’accordèyon dî no’s « Paquet d’toubac » qui djoue pou mî.
 
Oh, dji sais bin qui si dj’raconte ça au dgins d’ast’heure, î vont dire qui dji su sot, qui djé des allucinâtions…
Min dins m’tiesse, dji sé qui djoue co pou mî comme dins l’timps.
 
Luc 1980

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Traduction pour ceux et celles qui ne lisent et/ou ne comprennent pas cette belle langue imagée qu'est le Wallon...

Je vais vous raconter une petite histoire...Une histoire qui est vraie...

La scène se passe au début des années soixante.

Quand j'étais enfant, dans la rue Appaumée, il y avait une mine de charbon et un terril.

Il y avait quelques années que la mine avait été fermée, et tous les mercredis et tous les samedis, tous les enfants du quartier se retrouvaient sur le terril ou sur le carreau de la mine pour jouer.

Jadis, les terrils ont été, pour tous les enfants un lieu de plaisir.

Quand on en avait assez de jouer, on s'asseyait au sommet du terril et on songeait au temps où la mine de charbon était encore en activité.

Les jours de congé, au pied du terril d'Appaumée, on attendait notre père qui remontait de la mine à la fin de sa journée de travail, à la pause de trois heures..

On lui demandait un morceau de tabac à chiquer pour le donner à l'accordéoniste qu'on appelait « Paquet de Tabac », qui, pour un morceau de tabac à chiquer nous jouait des airs de son répertoire du folklore local.

C’était pour nous, les enfants assis au pied du terril.  Pendant des heures et des heures il jouait pour nous.  C'était notre plaisir, la joie de la jeunesse.

Si il s'arrêtait c'était pour prendre un morceau de tabac à chiquer ou bien pour boire un petit verre de pèquet, disant que c'était pour décontracter ses doigts, un remède contre les rhumatismes, pour pouvoir effectuer des triolets avec son accordéon.  Il attaquait des airs de la Balançoire de Jean-Baptiste Lenoir, Capitte avec l'Ane Blanc et des airs du Manège.

Le dimanche à Charleroi, sur la place du marché, il chantait les chansons de Jacques Bertrand, les chansons des mineurs, de leurs misères, de leur travail, des accidents au fond du trou, des grandes grèves de 1868, des coups de grisou qui ont tué des ouvriers au fond de la mine de charbon.

Tout cela est perdu parce qu'on n'écoutait pas ce qu'il disait.

Le temps s'est écoulé, le vieux temps est révolu.  Quarante ans se sont écoulés. Nous sommes au temps de la vitesse, des fusées qui parcourent l'espace, au temps de l'Internet.

Hélas, l'accordéoniste « Paquet de Tabac » n’est plus, et sa maison au pied du terril non plus.  Les châssis à  molettes de la mine de charbon ont disparu ainsi que le terril.  Tout cela est bien révolu.

A l'heure actuelle en lieu et place du terril se trouve un parc à containers et un parking; sur le carreau de la mine de charbon se trouve un parc avec des parterres, des arbres, des serres et les nouveaux bâtiments de la maison communale.

C’est beau, c'est propre et dans le quartier on n'entend plus que les pétarades des motos.

Tout cela ne vaut pas « Paquet d’toubac » avec son accordéon.

Mais quand je vais me promener dans le bois de Soleilmont, je passe près du terril et de l'ancienne mine de charbon du Bois de l'Abbaye.  Quand un grand coup de vent souffle dans les arbres, il me semble que j'entends l'accordéon de notre « Paquet d’toubac » qui joue pour moi.

Oh, je sais bien que si je raconte çà aux gens d'aujourd'hui, ils vont dire que je suis fou, que j'ai des hallucinations...

Mais dans mon esprit, je sais qu'il joue encore pour moi comme jadis.

Luc 1980

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Jacques Bertrand

D'autres souvenirs du Pays de Charleroi...  Je ne peux pas passer sous silence certains textes fabuleux de Jacques Bertrand (1817-1884). 

C'est un auteur wallon, purement carolo. 

Fabricant de chaises, né et mort à Charleroi. Sa famille était des plus humbles et, à dix ans, il quittait l'école pour entrer en apprentissage. D'un naturel curieux, plein de goût pour la lecture, il améliora par la suite l'instruction rudimentaire de ses jeunes années.

Ses œuvres portent la marque de son niveau intellectuel, reflètent le libéralisme de l'époque où il vivait.  Jacques Bertrand est doté d'un talent qui lui permet, en écriture spontanée de peindre la vie, la tristesse, la mort, la misère... en un mot les sensations simples et frustes du peuple, avec une expression pleine de franchise. 

Rappelons-nous "El' Quézenne au Mambour, L'ducace du Bo, Sintèz come èm keur bat, ..."  Toutes ces chansons qui allaient dépeindre, comme les oeuvres picturales de Pierre Paulus, un Pays Noir industriel et des ouvriers avec leur laborieuse existence.  Mais aussi par la truculence des expressions imagées de notre langue wallonne, Jacques Bertrand va dépeindre à la manière de Bruegel, un tableau riche en contraste et en coloris, une société débordant d'une vitalité à peine réprimée.   Il y ajoute une quantité de détails réalistes.  Rares sont ses chansons que l'on peut écouter sans rire et même celle qui paraît grave et sérieuse ne peut s'empêcher de nous faire pouffer ou sourire.  Il se plaisait à observer ses contemporains dans leur façon de manger, de boire, de danser, de sauter, de s'aimer, et de s'amuser, tout cela il le mit en poésie avec beaucoup d'adresse et de gaieté, comme s'il employait la peinture à l'huile ou l'aquarelle avec une habileté remarquable.  Il savait rendre ces hommes et ces femmes du Pays Noir avec leurs costumes, et il savait décrire à la perfection leurs danses ouvrières et gauches aussi bien que leurs démarches ou leurs poses.

Des chansons et des textes d'un réalisme d’inspiration sociale dont la puissance et la gravité touchent profondément.

Voici deux textes qui me tiennent à coeur :
"Sintèz come èm keur bat"
et grâce à Monsieur Lucien Baerts et Madame Christine Tombeur, animatrice d'une petite troupe de théâtre en dialecte Wallon, "El' Quézenne au Mambour".
 
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Sintèz come èm keur bat (Lolotte)

 
Sul bôrd d'el Samp', et pierdu dins l' fumièye,
Wèyèz Couyèt avou s' clotchî crawieux ?
 
C' est là ki d'meûre èm matante Dorotéye,
Veuve d' èm mononke Adrien du Crosteu.
A s'nouv'maujonne, nos avons fé ribotte
 
Lundi passè, tout in pindant l' crama.
Po l'premî côp, c'est la k' dj'é vu Lolotte.
 
Ré k'd' î pinser, sintèz come èm keur bat.
 
Po l premî côp, c' est la k'dj'é vu Lolotte.
 
Ré k'd' î pinser, sintèz come èm keur bat.
 
 
Gn avè drola les pus gais du villâdge,
En fét d'couméres, on n'avè k'à tchwèzi.
 
On a rcinè, à l' omp', padzou l' fouyâdje,
'Mitan d'el cour padzou l'gros cèrégî
Em'boune matante a del bîre è boutèye
Ç' n' est nin l' Fârô k' est djamè si bon k' ça.
Dins s' chike, Lolotte estè si bin vermèye,
 
Ré k'd' î pinser, sintèz come èm keur bat.
 
Dins s' chike, Lolotte estè si bin vermèye,
 
Ré k'd' î pinser, sintèz come èm keur bat.
 
 
I d'allait mia, les panses estant rimpliyes;
 
Djean l'Blanchisseû tringuèle ès violon;
I dit: "M’z'èfants, I gna véci des fiyes,
Ki n'dimandnut k'à danser l'rigodon..."
 
Ah ! Ké pléjî ! Kè Lolotte è contène !
 
Après l' cadriye, on boute ène mazurka.
Dj'é triané en serrant s'mwin dins l'mène.
Ré k'd' î pinser, sintèz come èm keur bat.
 
Dj'é triané en serrant s'mwin dins l'mène.
Ré k'd' î pinser, sintèz come èm keur bat.
 
 
Vla l'swêr vènu, pou danser chakin s' presse.
El violoneu raclè avou ardeur.
 
L' bîre et l'amour èm fèyè toûrner l' tiesse.
Vingt noms di chnik ! Dji nadjè dins l' bouneur.
Mins l' pa Lolotte, è wèyant ki d’j’l’imbrasse,
D' in côp d' chabot m' fét plondjî dins l' puria.
L' coumére s'incourt, èyè mi, dji m’ramasse.
Ciel ! Ké côp d' pî ! Sintèz come èm keur bat.
L' coumére s'incourt, èyè mi, dji m’ramasse.
Ciel ! Ké côp d' pî ! Sintèz come èm keur bat.
 
Dj'i m’souvéré d’el crama d' èm matante.
 
Dj'i crwè k' dj' é l' croupîon câssé ou bin dèsmi.
Dj’i prinds des bins al vapeur d' euwe boulante,
Grignant les dints tous les côps kè dj' m' achîds.
Mins cand dj' dèvrè skèter 'm dérène culotte,
En m' apougnant avè s' mame èyè s' pa,
Putot moru ki d' viker sin Lolotte.
Ré k'd' î pinser, sintèz come èm keur bat.
 
Putot moru ki d' viker sin Lolotte.
Ré k'd' î pinser, sintèz come èm keur bat.

 

Sentez comme mon coeur bat (Lolotte)

 
Au bord de la Sambre et perdu dans la fumée,
Voyez-vous Couillet et son clocher poussiéreux de calcaire ?
C'est là qu'habite ma tante Dorothée,
 
Veuve de mon oncle, Adrien à la béquille.
A sa nouvelle maison, nous avons fait la fête
Lundi dernier, en pendant la crémaillère.
Pour la première fois, c'est là que j'ai vu Lolotte.
Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.
Pour la première fois, c'est là que j'ai vu Lolotte.
Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.
 
Il y avait là les plus gais lurons du village,
Pour ce qui est des filles, on n'avait qu'à choisir.
On a goûté à l'ombre, sous le feuillage,
Au milieu de la cour, sous le gros cerisier
Ma chère tante a de la bière en bouteilles
Bien meilleure que le Faro.
 
Dans son état d'ébriété avancé, Lolotte était bien rougeoyante,
Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.
Dans son état d'ébriété avancé, Lolotte était bien rougeoyante,
Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.
 
Ca allait mieux quand les ventres furent repus ;
Jean le Blanchisseur joue de son violon ;
Il dit: "Mes enfants, il y a ici des filles,
Qui ne demandent qu'à danser le rigodon…"
Ah quel plaisir ! Que Lolotte est contente !
Après le quadrille, on lance une mazurka.
J ‘ai tremblé en étreignant sa main.
Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.
J ‘ai tremblé en étreignant sa main.
Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.
 
Voilà le soir venu, et pour danser, chacun se presse.
Le violoniste raclait son instrument avec ardeur.
La bière et l'amour me faisaient tourner la tête.
Saperlipopette ! Je nageais dans le bonheur.
Mais le père de Lolotte, en voyant que je l'embrasse,
D'un coup de sabot me fit plonger dans le purin.
La fille s'enfuit et moi, je me relevai tant bien que mal.
Ciel ! Quel coup de pied ! Sentez comme mon cœur bat.
La fille s'enfuit et moi, je me relevai tant bien que mal.
Ciel ! Quel coup de pied ! Sentez comme mon cœur bat.
 
Je me souviendrai longtemps encore de la pendaison de crémaillère de ma tante.
Je pense que j'ai le coccyx cassé ou luxé.
 
Je prends des bains de vapeur
 
Grinçant des dents chaque fois que je m'assieds.
Mais quand bien même devrais-je y laisser ma dernière culotte,
En m’empoignant avec son père et sa mère,
Plutôt mourir que de vivre sans Lolotte.
Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.
Plutôt mourir que de vivre sans Lolotte.
Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.

 

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El Quézenne au Mambourg

 

Savé bin qu’hier el’ garçon du fourrier
 
L’frère à Fifine,
L’galant Céline,
Nos a mainet au salon du lancier
Où d’jai r’trouvé m’namoureux calonier ?
 
 
D’j’ai danset sin manquer èn quadrye
D’j’ai valset qu’dj’in sû co stourdie
Vos aurî dit qu’tout skettait din l’Faubourg,
C’estait djustemint el’ quézenne au Mambourg
Tra-de-ri-de-ri-de-ra
M’jouissance, mi c’est l’danse
Tri-de-ri-de-ri-de-ra
Vive el’ danse au son du Boum la la
 
 
D’ji sé valser on m’apprind tous les djous,
Après m’djournée
A l’Mau Lavée
D’ji pou valser dissus in cautron d’ous
D’j’ n’in cass’rai pont téllemint qui d’j’ai l’pas doux.
Enn, deux, trwès, d’ji commais l’mèsure,
Em galant m’dit qu’d’j’ai èn fière tournure.
Min qué plaigî, qui fait gaie au Faubourg,
Quand c’est l’djou de’l quézenne au Mambourg.
Tra-de-ri-de-ri-de-ra
M’jouissance, mi c’est l’danse
Tri-de-ri-de-ri-de-ra
Vive el’ danse au son du Boum la la.
 
D’j’ai diz-huit ans dispû l’djou saint Crépin,
In bia visatche,
In fé corsatche,
In bia p’tit pid tchaussî d’in fé screpin,
Des zys bin nwèrs, ène pia comme in satin.
Chaqu’in m’dit : « T’es s’t’ène èwaraie . »
On dit ça pasqui d’ji seus gaie,
Qui n’el’ s’rait né quand on est du Faubourg,
Et qui c’est l’djou de’l quézenne au Mambourg
Tra-de-ri-de-ri-de-ra
M’jouissance, mi c’est l’danse
Tri-de-ri-de-ri-de-ra
Vive el’ danse au son du Boum la la
 
Toudi l’premère au son du violon,
Dissus l’danse
Mi d’ji m’lance .
Si m’vis-àvis r’çwès in caup di m’talon
D’ji vos l’fou su’s panse, aussi long qu’il est long.
Si l’gayard em’lance ène calotte,
Em galant l’prind pa au fond di s’culotte.
I’ faurait vîr comme on s’cougne au Faubourg
Quand  c’est l’djou de’l quézenne au Mambourg
Tra-de-ri-de-ri-de-ra
M’jouissance, mi c’est l’danse
Tri-de-ri-de-ri-de-ra
Vive el’ danse au son du Boum la la.
 
On djoque el danse, y pouvait iess’meignût
V’la qu’à l’ronde
Chaqu’in tchonte,
Alors on r’va mins dins l’brouyard d’el nût
Dins no djardin d’ji tchai sû in cabu.
Em vî pa, en m’wèyant machurée,
M’a r’tannet qui d’j’in seus stoumaquée.
Mins mi d’j’min fou.  Té, d’j vourais pou l’Faubourg
Qu’tous les huit djous s’ret l’quézenne au Mambourg
Tra-de-ri-de-ri-de-ra
M’jouissance, mi c’est l’danse
Tri-de-ri-de-ri-de-ra
Vive el’ danse au son du Boum la la
 

Le jour de paie au Mambourg

 

 Savez-vous bien qu’hier, le fils du fourrier*

Le frère de Joséphine,
Le fiancé de Céline
Nous a emmené au salon du lancier,
Où j’ai rencontré mon amoureux, celui qui distribue
les calottes* et les casques au charbonnage ?
 
J’ai dansé sans rater un quadrille
J’ai valsé, j’en suis encore toute étourdie.
Vous auriez dit que tout s’écroulait dans le Faubourg,
C’était justement le jour de paie au charbonnage du Mambourg.*
Tra-de-ri-de-ri-de-ra
Ma jouissance, moi c’est la danse
Tri-de-ri-de-ri-de-ra
Vive la danse au son du Boum la la.
 
Je sais valser, on me l’enseigne tous les jours,
Après ma journée de travail,
A Jumet, dans le quartier de la Mal Lavée.
Je peux danser sur 26 œufs,
Je n’en casserai point, tellement j’ai le pas léger.
Une, deux, trois, je connais la mesure…
Mon soupirant me dit que j’ai une fière allure.
Mais quel plaisir, quelle gaieté dans le Faubourg,
Quand c’est le jour de paie au charbonnage du Mambourg.
Tra-de-ri-de-ri-de-ra
Ma jouissance, moi c’est la danse
Tri-de-ri-de-ri-de-ra
Vive la danse au son du Boum la la.
 
J’ai dix-huit ans depuis le jour de la saint Crépin,
Un beau visage,
Un fin corsage,
Un beau petit pied chaussé dans un fin escarpin,
Des yeux bien noirs, une peau de satin.
Tout le monde me dit : « Tu es une excitée ! »
On dit çà parce que je suis gaie.
Mais qui ne le serait pas quand on habite dans le Faubourg,
Et que c’est le jour de paie au charbonnage du Mambourg.
Tra-de-ri-de-ri-de-ra
Ma jouissance, moi c’est la danse
Tri-de-ri-de-ri-de-ra
Vive la danse au son du Boum la la.
 
Toujours la première au son du violon,
Sur la piste de danse
Je me lance,
Si mon cavalier reçoit un coup de mon talon,
Je vous le flanque par terre et vous l’étale de tout son long.
Si le gaillard me gifle,
Mon soupirant le prend par le fond de son pantalon.
Il faudrait voir comme on se bagarre au Faubourg
Quand c’est le jour de paie au charbonnage du Mambourg.
Tra-de-ri-de-ri-de-ra
Ma jouissance, moi c’est la danse
Tri-de-ri-de-ri-de-ra 
Vive la danse au son du Boum la la.
 
On s’arrête de danser, il pouvait être minuit.
Voila que tout autour de nous
Tout le monde se met à chanter,
Alors on rentre chez soi, mais dans le brouillard de la nuit,
Dans notre jardin, je tombe sur un chou rouge.
Mon vieux père en me voyant ainsi toute sale,
M’a flanqué une correction que j’en suis encore toute vivement émotionnée.
Mais je m’en moque, tiens, je voudrais que pour le Faubourg,
Que toutes les semaines serait le jour de paie au charbonnage du Mambourg.
Tra-de-ri-de-ri-de-ra 
Ma jouissance, moi c’est la danse
Tri-de-ri-de-ri-de-ra 
Vive la danse au son du Boum la la.

 

Fourrier : Sous officier chargé autrefois de distribuer les vivres et de pourvoir au logement des militaires.  Aujourd’hui, responsable du matériel d’une unité.
Calotte : Casque en cuir en usage dans les charbonnages au XIXème siècle.
Charbonnage du Mambourg : Charbonnage de Charleroi dont le site d’exploitation se trouvait sur l’emplacement actuel de Carolywood et Ville 2.
 

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Bob Deschamps

Je me dois aussi de présenter Bob Deschamps, chanteur carolo par excellence !

Né en 1914 à Wangenies, petite localité aux environs de Fleurus, ce fils de boulanger, et boulanger lui même se découvre très tôt une vocation artistique et se lance dans la dans la chanson plutôt que de reprendre les affaires familiales. Bob Dechamps devient très vite un artiste incontournable des fêtes et animations de la région de Charleroi.

Ses chansons et ses sketchs dépeignent le Pays de Charleroi et ses habitants. Bob Deschamps reste sans aucun doute le plus connu des chanteurs d’expression wallonne. Il est décédé en 2002.

Voici un superbe poème qu'il a composé en compagnie de François Lemaire.

Chârlèrwè qué sale payis

Bob Deschamps et François Lemaire

Bén gna pont d'boune séson, i plout deus djous su trwès.
Vos n'ôs'rîz nén vudi sins vos n'imperméyâbe
 
Ou vos risquèz d'yèsse tout cru come in vî misérabe.
Vos èdalèz quéqu'fwès pau pu clér des solias,
 
Vos d'jèz « Tout l'mim.me dji crwès qui l'timps d'meura au bia »,
Mins vos ramassez là yeune dè cès bounes nuwéyes
Qui vos fé racouri l'coyène vrémint trimpéye.
Si vos vos-è tirèz sins awè in catâr,
Vos plèz vos vinter d'yèsse in fameus chancard.
Les alintours dè l'vile ?  C'est tout rimpli d'berdouyes :
C'n'est nén fé pour les djins, c'est bon pou les guernouyes !
Et d'pus nos s'tons co pu blancs qu'des navias
Avou toutes les feumières qui vud'nut des fournias.
Comint c'qu'on pout d'meurer dins ène parèye contréye ?
Adon qui gn'a des céns où c'qui l'solia lut tout' ène djournée.
Comint c'qu'on n'sè va nén vikî yusse qui fé bon
È evoyï bouler l'fayè payis wallon ?
Pouqwè ?  Tout simplemint pace qu'on trouve dilé li,
Du mwins nous ses èfants, tout qwè c'qui fét pléji.
In ètrangè pass'reut in djou à Chârlèrwè
Il âra vu, mon dieu, deus, trwès bèles sakwès.
Mins come souv'nir dè l'vile, qwè c'qu'il âra en somme ?
Putète deus trwès fotos, colèyes dins in albom.
I n'âra nén compris tout qwè c'qu'il est pour nous,
C'pètit bouket du monde qui nos a moustrè l'djoû.
Nos Walonîye pour nous, c'est l'pus grande des merveyes.
Et nos plons bén cachî, nos n'trouv'rons rén d'pareye.
Qwè c'qui gn'a d'mieus qu'aute pau ?  Vrémint dji nè l'sés nén.
Pouqwè c'qu'on l'vwèt voltiye ?  C'est pou tout, c'est pou rén.
Pou in moncha d'biestrîyes qu'on n'saureut dîre li mînme.
Cor bén mînme après tout on n'sé nén come on l'inme.
I faut l'awè quittè, awè pârti bén lon
Pou sawè come on tént à s'vî payis wallon.
 
I plout n'miyète di trop ?  Mon dieu qué p'tite saqwè !
Nos i èstons dalieurs tél'mint habituwès
Qui quand nos vwèyons l'solia qui lût wit d'jous sins r'lache
Nos souwétons rad'mint qu'il arrive ène boune drache.
Gn'a des feumières dijez, qui sôrt'nut des usines ?
Mins n'est-ce nén come coula qu'on sét mindji s'târtine ?
N'est-ce nén ces usines-là qui nos fèye nu vikî ?
Si èle i toûrn'rît pu, qwè c'qui nos d'vénrîs ?
 
Nos pourîs bén r'sèrer tél'mint fôrt nos boudène
Qui nos mindj'rîs bén râde les plantes pas leus racènes.
Qwè c'qu'on dit co bén d'aute du Payis d'Chârlèrwè ?
On dit, c'est vré qu'on dit, qu'il est grossièr l'patwès.
On dit du cén qui l'pârle qui c'èst yun d'èle « basse classe »
Mins r'niyî nos Wallon, n'èst-ce nén r'niyî nos race ?
Nos disfindons quék'fwès aus èfants dè l'pârler,
Nos d'sons qu'c'est mau apris, nos d'sons qu'çoulà est léd.
C'est qu'nos n'comperdons né lès biatés d'nos parlâdjes
C'est qu'nos autes i gna pon d'faustè dins nos lingâdje.
Tout qwè c'qui nos pinsons nos l'disons plate et zake
Sins awè pou çoula dandjî d'tourner nos fraque.
Vos d'sez qu'il est grossiè nos patwès d'Charlèrwè ?
Vos avèz p'tête réson, mins savèz bén pouqwè ?
C'est qu'il a stî pârlé pa tout ces brâves ouyeûs
Qui n'sav'nut nén c'qwè c'est "awè peu"
Qui discindent'nu dins l'fosse en dijant des biestrîyes
Sins sondjî qu'is sont là in trin d’risquî leu vîye.
Et c'est sôrtant dè l'bouche dè ces homes couradjeûs
Qui chène qui nos patwès est télcôp crapuleûs ?
Mins i gn'a qu'l'ér seûlmint parce qu'il a dins li mînme
Ene sakwè d'tél'mint bia qu'il oblidje à c'qu'on l'inme,
Ene sakwè qui tént là èt qui fé qu'tout l'monde dit :
« Nos estons des Wallons èyèt nos l's'rons toudis. »

Charleroi quel sale pays

Bob Deschamps et François Lemaire

Ben, il n’y a pas de bonne saison, il pleut deux jours sur trois.
Vous n’oseriez pas sortir sans votre imperméable
Ou vous risqueriez d’être tout mouillé comme un vieux misérable.
Vous vous en allez quelque fois par le plus clair des soleils,
Vous vous dites « Tout de même, je crois que le temps restera au beau »,
Mais vous ramassez là une de ces bonnes nuées
Qui vous fait revenir en vitesse trempés jusqu’aux os.
Si vous vous en sortez sans avoir un rhume,
Vous pouvez vous vanter d’être un fameux chançard.
Les alentours de la ville ? C’est totalement rempli de boues :
Ce n’est pas fait pour les gens, c’est bon pour les grenouilles !
Et en plus nous sommes encore plus blancs que des navets
Avec toutes les fumées qui sortent des hauts-fourneaux.
Comment peut-on habiter dans une pareille contrée ?
Alors qu’il y a des endroits où le soleil luit tout la journée.
Comment se fait-il qu’on ne s’en va pas vivre là où il fait bon
Et envoyer au diable ce foutu pays wallon ?
Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on y trouve,
Du moins nous ses enfants, tout ce qui fait plaisir.
Si un étranger passait un jour à Charleroi
Il aura vu, mon dieu, deux, trois belles choses.
Mais comme souvenir de la ville, qu’aura-t-il en somme ?
Peut-être deux, trois photos, collées dans un album.
Il n’aura pas compris tout ce qu’il représente pour nous,
Ce petit morceau du monde qui nous a donné le jour.
Notre Wallonie pour nous, c’est la plus grande des merveilles.
Et nous pouvons bien chercher, nous ne trouverons rien de pareil.
Qu’y a-t-il de mieux ici qu’ailleurs ?
Vraiment, je ne sais pas.
Pourquoi l’aime-t-on ? C’est pour tout et pour rien.
Pour un tas de bêtises qu’on ne saura même pas expliquer.
Encore bien même après tout, on se sait pas à quel point on l’aime.
Il faut l’avoir quitté, être parti bien loin
Pour savoir comme on tient à son vieux pays wallon.
Il pleut un peu trop ? Mon dieu la belle affaire !
Nous y sommes d’ailleurs tellement habitués
Que quand nous voyons le soleil qui luit huit jours sans arrêt
Nous souhaitons rapidement qu’il arrive une bonne averse.
Vous dites qu’il y a des fumées qui sortent des usines ?
Mais n’est-ce pas comme cela qu’on sait manger sa tartine ?
Ne sont-ce pas ces usines qui nous font vivre ?
Si elles ne fonctionnaient plus, que deviendrions-nous ?
Nous pourrions bien faire un tel régime et tellement maigrir
Que nous mangerions bien vite les pissenlits par la racine.
Que dit-on encore à propos du Pays de Charleroi ?
On dit, c’est vrai qu’on dit que notre patois est grossier.
On dit de celui qui le parle que c’est un de la « basse classe »
Mais renier notre Wallon, n’est-ce pas renier notre race ?
Nous défendons parfois aux enfants de le parler,
Nous disons que c’est impoli, nous disons que c’est laid.
C’est parce que nous ne comprenons pas les beautés de nos conversations.
Chez nous, il n’y a pas de fausseté dans notre langage.
Tout ce que nous pensons, nous le disons franchement.
Sans avoir besoin pour cela d’être hypocrites.
Vous dites qu’il est grossier, notre patois de Charleroi ?
Vous avez peut-être raison, mais savez vous pourquoi ?
C’est qu’il a été parlé par tous ces braves mineurs
Qui ne savent pas ce que c’est d’avoir peur
Qui descendent dans la mine en disant des bêtises
Sans songer qu’ils sont là en train de risquer leur vie.
Et c’est sortant de la bouche de ces hommes courageux
Que notre patois est, semble-t-il,  quelquefois crapuleux ?
Mais ce n’est qu’une impression parce qu’il a en lui-même
Quelque chose de tellement beau qu’il oblige à ce qu’on l’aime,
Quelque chose qui tient là et qui fait que tout le monde dit :
« Nous sommes des Wallons et nous le serons toujours. »

A voir et à écouter...CHARLERWE.pps

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Complainte du cheval dans la mine 1

Dans la fosse profonde, où le jour n'entre pas
Sous la morne clarté des lampes fantastiques
Les vieux chevaux usés, fourbus et rachitiques
Traînant les wagonnets, marchent à petits pas.

Tristes mais résignés, ils vont la tête basse
Dans leur cerveau voilé, cherchant un souvenir
Et dans leurs grands yeux vagues parfois il passe
Comme des visions qu'ils ne peuvent saisir

Ce sont des gais vallons inondés de lumière
Où l'on marchait rapide et les naseaux fumants
Ce sont des près, des champs et des bosquets charmants
C'est la ferme rustique où riait la fermière

Et quand le vieux forçat succombe sous l'effort
Pendant qu'autour de lui, on dit "regarde, il crève"
A sentir tous ses maux et finir avec la mort
Il croit qu'il s'en retourne au pays de ses rêves.

Ecrit par Jules Sottiaux.

Complainte du cheval dans la mine 2

Il travaillait, il travaillait, tout le jour,
Tout le jour dans le fond profond,
Le fond profond d'une mine.
Il travaillait, il travaillait, tout le jour,
Tout le jour dans le fond, le fond profond,
D'une mine de charbon.
Il espérait toujours, un beau jour, voir le jour,
Le jour qu'il vit quand il vit le jour.
Mais chaque soir il voyait son espoir diminuer
Car jamais on ne l'avait fait remonter.
Oh toi petit cheval de misère
Que l'homme entraina dans un puits
Tu sais bien que la haut tes frères voient la lumière de la vie
Dans le noir de ton domaine.
La crasse consolide ta peine
Pourtant parfois dans ton sommeil
Tes rêves parlent de soleil.
 
Il travaillait, il travaillait tout le jour,
Tout le jour dans le fond profond,
Le fond profond d'une mine.
Il travaillait, il travaillait tout le jour,
Tout le jour dans le fond, le fond profond
D'une mine de charbon.
Il espérait toujours, un beau jour voir le jour
Le jour qu'il vit quand il vit le jour.
Il fit bien d'espérer car pour le reposer
Un matin d'été les mineurs l'ont remonté.
Grisé d'espace et de lumière, ainsi quelque temps il vécut.
 
Mais depuis ce soir sous terre,
Dans le noir l'a redescendu.
Lorsqu'il reprit son esclavage,
Il sentit mourir son courage.
C'est pour ça que dans son sommeil
Peu a peu s'enfuit le soleil.

S'il refusait de travailler tout le jour,
Tout le jour dans le fond,
Le fond profond de la mine de charbon,
Il espérait ainsi faire la grève,
La grève pour manifester son insoumission.
Le gréviste étonnant refusa les traitements
Améliorant sa prime de rendement.
Il fallut l'expulser
Et le faire remonter
Dans sa jolie prairie ensoleillée.
 
Il galope, il galope tout le jour,
Tout le jour dans le fond,
Le fond profond de la mine.
Il galope, il galope, tout le jour,
Tout le jour dans le fond
Le fond profond de la mine de charbon.
L'étonnant à priori
Est que l'homme aie si bien compris
Le bel espoir du petit cheval
Mais dans le fond c'est normal
Car pour la pomme après tout
Tout le monde sait que le cheval n'était pas dans l'coup.
L'homme travaille il est puni
N'oublions pas que sans lui
Tous les chevaux, tous les chevaux seraient heureux au paradis.
 
Anonyme
 
 
Complainte du cheval dans la mine 3

Tu rêves encore à cette verte prairie
Et te voilà couché sur ton flanc noirci.
Tu te souviens à peine de ce jour de tristesse
Où les hommes te mirent dans ta nuit.

Te voilà couché dans cette paille qui te regarda naître
Petit cheval blanc tu n'es sûrement pas le plus bête
On te dit aveugle, mais pas de cœur
car tu nous laisses pas seuls avec nos peurs.

Dans cette nuit éternelle tu veilles
Notre frère de peine tu adoucis notre haine
le jour viendra où réformé
Puisque tes sabots sont usés pour avoir trop tiré
On te mettra dans un enclos
Et une ultime fois tu feras le beau.

 
L'homme qui ne voulait pas mourir


Maman, ma mère je meurs.
La terre mêlée de charbon
Je me revois enfant
Joyeux et insouciant.
Vois-tu le souffle manquant
J'agonise les yeux fixés sur le néant.
Pourtant mes frères de douleur m'épongent le front
Ils sont là comme un chagrin de moribond.
Vois-tu ma mère que mon âme se brode et s'époumone
Elle vole légère comme un oiseau fait l'automne.
Je pleure et je t'appelle comme je le faisais haut comme trois pommes.
J'ai froid et ma bouche écume
Je ne souffre plus car c'est l'heure de me sentir voler comme une plume.
Aux jambes l'on me passe des chaînes
Pour me sauver ou m'achever.
Je vois mon ami l'ange qui pleure sans pudeur voilée.
Ils sont là les hommes de devoirs grands et de chagrins noyés
Sur leurs visages des larmes traçant des sillons profonds sur la poussière collée.
J'ai froid et saigne comme des pitiés.
Mon Dieu se connaît-on au point de se tutoyer?
J'ai vingt ans et j'aurais aimé voir encore le soleil me caresser.
Hélas, c'est la nuit sous cette terre, comme un signe mes yeux ne voient plus.
Je pars et mes frères s’agitent autour de ma tombe improvisée
Mon corps est une blessure ouverte offerte à ma destinée.
Je plane au dessus de ma future mort et de ma jeunesse écourtée.
J'entends les rumeurs du paradis et de son brouhaha de moi parler
Suis-je un fantôme ou un corps qui s'élève vers l'insouciance?
Oh ma mère je vais mourir et je t'aime pourtant,
Vous mes camarades, je vous laisse ma mémoire d'antan.
Ne pleurez pas, faites-moi en le serment.
J'ai vingt ans et peu à peu la vie m'abandonne, c'est fini.
Je vais dormir sur le sein blanc de ma mère dès aujourd'hui.
Tenez-moi les mains ! C'est le moment d’être grands mes amis.
J'ai froid, j'ai faim, je pleure, j'entends la fanfare et ses bruits.
Ôtez-moi mes douleurs qui m'avilissent.
A vous les hommes de mon puits,
Je vous laisse ma pelle et ma neuve veste.
Voilà je pars sans haine et sans souhaiter la peste.
Toutes les cloches sonnent pour ceux qui restent.
J'aurais aimé une dernière fois voir la mer
Courir pieds nus sur le sable ridé
Courir à perdre haleine en plein juillet.
Au revoir les hommes de dentelle
Au revoir ma mère si belle .

Galibot (en Ch'ti)

Noir terril limite de m'n'horizon
Noir terril limite de m'n'imbition
Tchiot fieu et fieu ed' mineur
Je prindrais l' quémin du labeur

J'ai eu hier mes quatorse ans
Ch'est fini les jupons de m'man
Ed'main j'déquindrais au fond
Comme ez'autes armonter du carbon

J'aros bin voulu ête docteur
Avocat ou bin instituteur
Mais les étutes cha coute
Mi fallot que j'gagne m'croute

Et quand min père silicosé
Trop usé n'pourra pu ouvrer
Cha sera min tour d'nourrir
Tout l’famille et de l'chérir

Ch'est un dur métier mineur
Mais in est fier d'sin labeur
In armonte tout noir ed'carbon
Mais in marche in levant sin front

In rinte sans baisser les yux
Même si ailleurs y a miux
Comme min père et min taïaon
Contints d'amonter du fond

Ecrit par Bierlair René dit Cartouche

 

L'silicosé (en Ch'ti)

Sur ch'querpion i s'in va ployé in deux
I sufoque comme eune vielle locomotife
A s'n'ache i a bin du mal à devenir viux
Mais l' silicosse ne l' laiche pus vife

Y voudros core aller au carbon
Mais y a bétôt pus ed'poumon
Alors y traine s'vielle carcasse
Duchemint in trainant ses godasses

I s'forche au moins eune fos par jour
A s'promener dins sin vieux coron
A essayer incore d'un faire l'tour
Vire des gins pis rintrer à s'maison

Ch'vint y souffèle dins chés rues
Chés gins arserr'tent leux pardessus
L'air y est ed'pus in pus frais
In sint qu'l'hiver y va arriver

Dins chés gulots les feulles mortes
Vol'tent in tournant d'vant chés portes
Ch'ciel y est querqué ed'nuaches gris
Ch'bieau temps d'l'été y est bin fini

Bétôt ch'arsera Noël, neiche et verglas
Ch'temps y passe ed'pus in pus vite
Surtout ed'puis qu'alle est pus là
I l'avos si querre s'fosse du huit

Une fos qu'l'automne sera passée
I n'a core au moins pour eune année
Pour chés feulles pour chés silicosés
Ch'est l'saison pour duchemint s'in aller

Ecrit par Bierlair René dit Cartouche

 

Un cliché de Willy Ronis
Un cliché plein d'émotion
Un cliché qui me renvoie dans mon passé
Un cliché pris à Lens ma ville natale

Le regard de la détresse infinie
Le regard d'un homme foutu à moins de 50 ans
Le regard de celui qui va mourir et qui le sait

Tu seras mineur, mon fils !

 

Les brumes fantomales
Des matins de juillet
Brûlent leur encens
Au foyer des eaux vertes
Du fleuve paisible.
À coup de langues râpeuses,
Léchant comme des sucres les myriades de galets,
L'ALLIER, enchâssée frileusement entre deux costilles,
Érafle sa paresse aux pierres anguleuses
Des quais oubliés.
 
Pourtant,
 
Glissent là, devant moi
Les flottilles à fond plat
Les flancs enceints de roches minérales
Noires et luisantes, gorgées de vie
De vie,
De vie...
 
Tu seras mineur, mon Fils!
 
Alors,
 
Renaissent les siècles perdus
Et la pioche et les bois tordus
Et les wagons et la nuit drue,
L'odeur des chevaux fous
Et la poussière et la boue,
Les roues qui tournent follement;
Au tri, les femmes et les enfants !
 
Tu es mineur, mon fils !
 
Sabots, galoches et mobylettes,
Le temps s'accroche aux deux molettes.
La sirène éperdue
Emplit la cage, vide les rues,
C'est la révolte qui gronde.
Dans le brouillard des bistrots
Là où se refait le monde,
Là où se remarquent les buts
Des équipiers vaincus.
 
Tu es mineur, mon Fils!
 
La sirène éperdue
Compte, compte
Froidement, mécaniquement
Les matins des années,
Avec d'immenses parenthèses.
Le travail est dur,
La poussière mauvaise ;
Il y aura deux mois demain
Que pour un peu plus de pain
Le silence de la colère
A cloué les roues, les raies en l'air.
 
Tu es mineur, mon Fils!
 
Tu es mineur mon fils
Par la pelle et la pioche
Et par l'air comprimé,
Par la lampe d'Aladin
Que tu tiens à la main,
Qui renaît et s'éteint,
Par ton mal de reins,
Par le bois qui geint
Qui résiste à la mort
Et casse sous l'effort.
 
Tu es mineur, mon Fils!
 
Par ta gueule noircie,
Et les bleus sur ton corps,
Par le charbon qui coule
Comme un torrent
Sur ton dos, sur tes pieds
Et descend en cascade en griffant,
Par le coron qui chante
Ses fêtes nationales
Par l'église d'AUZAT
Qui appelle ses morts,
Par le cri des gamins
Tu es...
Soit ;
Je sais...
 
La cruelle lumière
Qui monte dans mon dos
A refermé le puits
Une deuxième fois.
 
Sûre et calme
L'ALLIER file vers le nord,
Inlassablement,
Hors du temps
Des hommes d'aujourd'hui.
Au creux des terres
Dort une seconde vie.
 
Un jour,
Un jour certain...
 
Tu seras mineur, mon Fils!
 

Ecrit par Jean-Claude Daffix

Poussière

 

Quatre cents mètres sous terre,
Quatre cents mètres en enfer,
Pour tromper la mort en attente,
Alors  joue,  bois et chante.
 
À l'aube de chaque nuit
De cette vie à l'envers,
Tu retournes dans l'oubli
Pour huit heures de calvaire.
Pourtant la mère t'avait dit :
La mine a pris ton père.
 
Mais qu'importe après tout ,
Au bout de ton horizon,
Seul un terril et un trou !
Après ça plus de question,
Si tu veux gagner tes sous,
Reste plus que le charbon.
 
Alors tu piques et tu boises,
Termite dans le néant,
Posant des buttes et des moises
Dans l'eau qui glace ton sang,
Dans l'eau puante et sournoise,
De la poussière plein les dents.
 
Vieillard  à la quarantaine,
Tu craches des morceaux de toi.
Cœur lourd de luttes et de peines,
Tu regrettes déjà ton choix.
Mais la mine remplie de haine,
N'en a pas fini avec toi.
 
La mine n'aime pas qu'on la viole.
Elle hurle, tressaute et se tord.
Un jour même, comme bombe qui miaule,
De son ventre naît la mort.
Torrent de bois et de tôles,
Elle seule gardera ton corps.

 

Ecrit par Jean-Claude Daffix

20 Juillet 1908

 

CHANT DES MINEURS

Pourquoi fuis-tu si vite, beau soleil du Dimanche
Je sens sous ton brasier mon coeur s'emplir d'amour
Et sous la voûte obscure, je n'y vois plus tes branches
Qu'il est heureux celui qui peut vivre au grand jour!

Refrain:
DEBOUT, MINEUR, vois: l'horizon s'éclaire
Dans ton cercueil vivant, va gagner ton salaire
Le ciel pour toi, n'a pas fait la lumière.

Il est déjà passé le jour où je respire,
II me faut retourner dans ce gouffre béant,
Ma vie est ainsi faite, je ne peux la maudire,
Que mon travail suffise à ceux que j'aime tant.

Quand j'embrasse mon fils, je vois couler des larmes,
Femme, pourquoi pleurer, embrassons-nous, adieu
J'ai besoin de courage et tes folles alarmes,
Ne peuvent qu'affaiblir ma confiance en Dieu.

Sans air, sans feu, sans pain dans cette froide tombe,
N'ayant pour soleil, qu'une lampe au pilier,
Sans secours, bien des fois, plus d'un de nous succombe,
Personne sur son cercueil ne peut venir prier.

Le soldat se défend au milieu des batailles,
Le mineur, lui, jamais, ne voit son ennemi,
Le sol qui le nourrit a fermé ses entrailles,
Une voûte s'écroule, un cri, tout est fini.
 

 


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