Roches et phénomènes ignés 1

1.  Le magmatisme

a) Introduction

On désigne par magmatisme l'ensemble des caractères et des propriétés physiques et chimiques des magmas. Le magma est une quantité de matière incandescente, complètement ou partiellement fondue, que l'on trouve dans ou sous l'écorce terrestre et qui est essentiellement formée par plusieurs types de silicates, par de petites quantités de gaz (éléments volatils, comme la vapeur d'eau, l'anhydride carbonique, l'hydrogène, l'hydrogène sulfuré [H2S], l'acide chlorhydrique, etc.). Les proportions entre tous ces composants varient dans des limites assez larges, et permettent une classification en plusieurs types de magmas. (On distingue ainsi en fonction des teneurs en silice les magmas acides [SiO2 > 60 %] et les magmas basiques [SiO2 < 55 %].)

Si les conditions tectoniques de la croûte terrestre sont favorables, les magmas, grâce à leur mobilité, peuvent monter et s'épancher à la surface de la Terre sous formes de laves et de gaz volcaniques. L'ensemble des phénomènes liés à la montée et à l'épanchement des magmas est appelé volcanisme; les phénomènes intra-telluriques sont regroupés sous le terme de plutonisme.

Les laves fondues, en se refroidissant, se consolident en roches volcaniques. Si les magmas se refroidissent au sein de la croûte terrestre, ils cristallisent complètement et forment des roches plutoniques. Mais il faut remarquer que certaines roches holocristallines, très semblables aux plutons magmatiques, peuvent se former aussi à la suite de processus métamorphiques. En effet, pendant l'orogenèse se développent dans les parties profondes de l'écorce terrestre des pressions et des températures relativement hautes; ainsi, les roches préexistantes, imbibées de solutions pegmatitiques, acquièrent les propriétés d'un migma et recristallisent sans passer par un état fondu, donnant naissance à des plutons d'origine ultramétamorphique, que l'on appelle métaplutons (migmatites) pour les distinguer des orthoplutons, ou magmas vrais. Les métaplutons (migmatites), plus répandus, ont une composition granitique ou dioritique; le processus de recristallisation ultramétamorphique qui leur donne naissance prend le nom de granitisation. Avec l'accroissement de la température, le migma est fondu et devient progressivement un magma de compo­sition analogue à celle du migma. La distinction entre ortho- et métapluton, souvent difficile, fait l'objet de discussions.  Il convient donc de nommer les différents types de magmas à partir des noms des roches volcaniques correspondantes qui sont certainement d'origine magmatique et non à partir de ceux des plutons, dont l'origine est plus incertaine.

La composition chimique des roches volcaniques est identique à celle de la partie non volatile des magmas et les caractérise avec une précision assez bonne du point de vue chimique. Les propriétés physiques des magmas dépendent en partie de leur composition chimique, mais surtout de la température, de la pression et de la teneur en éléments volatils. La viscosité des magmas acides est plus grande que celle des magmas basiques, mais dans les deux cas elle augmente de manière exponentielle avec la pression et diminue exponentiellement avec la température.

Un magma, étant toujours un mélange de plusieurs substances, n'a pas un point de fusion mais un domaine de températures de fusion.  Si la température est plus élevée que la limite supérieure de ce domaine, le magma est complètement fondu : il est alors en surfusion. Dans le domaine de fusion, au contraire, il contient des cristaux intratelluriques (phénocristaux). En ce qui concerne l'état physique d'un magma par rapport aux éléments volatils, on peut distinguer trois cas : hypomagma si la pression extérieure est plus élevée que la tension de vapeur, les gaz restant ainsi dissous et leurs molécules étant dispersées dans la masse fondue; pyromagma si la pression extérieure est inférieure à la tension de vapeur, auquel cas il existe une phase gazeuse sous forme de petites bulles (magma mousseux) ; épimagma si, à la surface de la colonne magmatique, les gaz se sont libérés en majeure partie dans l'atmosphère par suite de la pression extérieure très faible; l'épimagma venu à la surface est aussi appelé lave.

b) L'ascension des magmas

Le mécanisme de montée des magmas dépend, en plus de leurs propriétés physiques intrinsèques (densité, viscosité, tension de vapeur), des conditions tectoniques et de la nature des formations rocheuses qu'ils doivent traverser.

Les magmas acides sont en général très visqueux et plus légers que les roches traversées. Ils ont donc un pouvoir ascensionnel propre, correspondant à la poussée d'Archimède, qui les rend capables de s'introduire à travers les formations de la croûte terrestre et de soulever les couches sus-jacentes. Ainsi prennent naissance les bassins magmatiques, qui, dans les zones orogéniques, peuvent atteindre des dimensions très importantes. A partir de ces régions montent vers la surface des masses qui soulèvent les roches sus-jacentes, les soumettant à des tensions si importantes qu'elles provoquent des fractures et s'y injectent pour arriver à la surface. C'est ainsi que prend naissance le volcanisme explosif avec ses éruptions ignimbritiques et ses éruptions centrales qui construisent les volcans formés essentiellement de matériel pyroclastique.

A l'opposé des magmas acides, les magmas basiques ont une densité plus élevée que les roches encaissantes. Ils seraient donc incapables de monter vers la surface, si les tensions tectoniques ne se traduisaient pas par des fractures très profondes qui favorisent leur ascension. De telles fractures sont responsables d'une très forte dépression qui agit sur le magma par une brusque chute de viscosité; c'est ainsi que le magma plus fluide pénètre dans les cassures. La phase gazeuse se sépare dans la partie plus élevée de la masse magmatique; cela revient à dire que l'hypomagma se transforme en épimagma bulleux. Ce dernier, étant très léger, acquiert la poussée d'Archimède nécessaire pour monter en surface. La différence, dans les mécanismes d'ascension, des magmas acides et basiques se traduit par une grande extension latérale des bassins magmatiques acides, tandis que les bassins basiques se limitent plutôt au remplissage de fractures.

Représentation schématique des relations entre le volcanisme et la tectonique (orogenèse). 

En haut, formation d'un géosynclinal : en bordure du continent, par la suite de déplacements du magma profond dirigés vers le continent, la croûte terrestres soumise à des tensions s'abaisse (géosynclinal); le long de fractures abyssales (profondes), le magma basaltique (sima) monte vers la surface.  On a ainsi un volcanisme géosynclinal.  La croûte océanique peut aussi être traversés par des fractures qui permettent au magma basaltique de s'épancher sous les océans et de former des couvertures hyaloclastiques et de coulées, construisant des volcans en boucliers (Hawaii)

Au centre, le tectogenèse : dans l'orogenèse, la croûte terrestre entraînée en profondeur est comprimée et plissée; par suite de l'augmentation de pression et de température, les roches sont métamorphisées et partiellement fondues.  Les magmas acides anatectiques prennent ainsi naissance.

En bas, l'orogenèse : pour rétablir l'équilibre isostatique, la chaîne de montagne est soulevée; les magmas anatectiques légers montent jusqu'en surface et provoquent un volcanisme orogénique explosif

c)  La différenciation magmatique

Par différenciation magmatique, on désigne le processus qui aboutit à la formation d'un magma ayant une composition chimique différente de celle du magma originel, ou magma primaire. Nous aborderons ici les grandes lignes de l'étude de cette différenciation, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement.

1°  La différenciation gravitative

Si un magma se refroidit lentement, il y a une ségrégation des cristaux dont la composition chimique est différente de celle du magma. Il s'ensuit que le bain fondu change continuellement de composition. Par exemple, dans un magma de type basalte à olivine, au cours du refroidissement se forment d'abord des cristaux d'olivine (Mg,Fe)2SiO4. Ils sont plus lourds que le bain fondu et tendent donc à descendre; en même temps, ils appauvrissent le magma en magnésium, en fer et relativement peu en silice. En conséquence, le bain fondu résiduel du magma parent, de type basalte à olivine, s'enrichit de manière passive en silice, aluminium, calcium et alcalins, et devient ainsi un magma basaltique. Si la cristallisation continue, il se forme des cristaux de pyroxènes (Mg,Fe)SiO3 et Ca(Mg,Fe)Si206 et, presque en même temps, des plagioclases qui à leur tour peuvent précipiter vers le fond du magma; ainsi, le bain fondu résiduel change une nouvelle fois de composition et forme, dans les parties plus élevées de la chambre, un magma qui est trachy-andésitique au début, puis trachytique. La séparation des cristaux relativement lourds produit de nouveaux magmas différenciés qui, dans certaines conditions, peuvent s'épancher en surface et former des roches volcaniques comagmatiques.

2°  La différenciation pneumatolytique

Dans le pyromagma peu visqueux, les bulles, formées essentiellement de vapeur d'eau et de CO2, migrent vers le haut et transportent en solution gazeuse certaines substances pneumatophiles, parmi lesquelles les plus importantes sont des composés de sodium, de fer, de titane et de phosphore. La solubilité de ces composés dans les gaz magmatiques diminue avec la pression. Donc, si les bulles arrivent dans la partie haute de la cheminée où la pression est plus faible, elles cèdent une partie des substances dissoutes au magma, qui change ainsi sa composition chimique. Ce processus, désigné par le terme de transfert gazeux, a pour conséquence une différenciation pneumatolytique du magma, lequel est enrichi en éléments pneumatophiles dans ses parties hautes et appauvri dans les parties basses. Ainsi, par suite d'un tel phénomène, un magma parent de type basalte à olivine acquiert vers le bas une composition basaltique sans olivine, tandis que vers le haut le magma devient téphrytique. Souvent les deux processus de différenciation se superposent et donnent d'autres types de magmas différenciés. Par exemple, un magma parent de type basalte à olivine, par différenciation gravitative, devrait donner en dernier terme un magma trachytique, tandis que, par la superposition de la différenciation pneumatolytique, on aura un magma de type phonolitique.

3°  Les conditions favorables à la différenciation

Dans un bain fondu, la vitesse de chute des cristaux et celle de l'ascension des bulles de gaz sont inversement proportionnelles à sa viscosité. Il s'ensuit que les processus de différenciation ne se développent facilement que dans les magmas fluides et sont difficiles dans les magmas visqueux, voire impossibles dans les bains fondus très visqueux. La vitesse des magmas ainsi que celles de leur ascension et des mouvements de convection sont des facteurs importants du phénomène de différenciation.

Une expérience très simple met en relief l'action de ces mouvements : si deux verres sont remplis le premier avec de l'eau trouble, le second avec de l'eau gazeuse, et si on les laisse ainsi, dans le premier les particules en suspension se déposent peu à peu sur le fond et l'eau devient de plus en plus claire, tandis que dans le second on n'observe aucun changement. Lorsqu'on agite le contenu des deux verres avec un objet quelconque, dans le premier la sédimentation sera arrêtée, tandis que dans le second les bulles de gaz monteront vers la surface. Le même phénomène se passe pour les magmas : les mouvements du bain fondu sont un obstacle pour la différenciation gravitative; par contre, ils favorisent la différenciation pneumatolytique, le calme produisant l'effet opposé.

La stagnation du magma dans la croûte terrestre ou son ascension très lente sont des facteurs favorables à la différenciation gravitative, tandis que les mouvements de convection la rendent difficile.

Les meilleures conditions pour avoir une différenciation pneumatolytique sont réunies lorsque dans le volcan se manifeste une faible activité fumerollienne, qui maintient dans le magma une lente convection biphasée. Si celle-ci devient trop importante par suite de l'ouverture de la cheminée, on n'aura pas une différenciation pneumatolytique efficace, car les gaz se libéreront rapidement dans l'air avec presque tous les éléments pneumatophiles dissous.

d) Anatexie, assimilation, hybridisme

 Outre les deux types de différenciation déjà cités (gravitative et pneumatolytique), il existe d'autres processus donnant naissance à des magmas différenciés : l'anatexie, l'assimilation et l'hybridisme.

1°  L'anatexie

On distingue par ce terme la fusion partielle ou totale de roches préexistantes. Les magmas qui en résultent prennent le nom de magmas anatectiques. L'augmentation de température, nécessaire à la fusion anatectique, peut avoir deux origines : ou bien des roches de l'écorce terrestre, généralement des granités ou des gneiss, sont poussées pendant la formation des chaînes de montagnes par des forces tectoniques en profondeur (au-delà de 40 km) où les températures sont importantes, ou bien des magmas basaltiques très chauds envahissent la croûte terrestre et fondent les roches encaissantes. Dans le premier cas, on parle d'anatexie régionale car elle intéresse d'importantes régions orogéniques (longues de plusieurs milliers de kilomètres et larges de plusieurs dizaines ou centaines de kilomètres). Dans le second cas, on a une anatexie de contact bien localisée au contact entre le magma basaltique et les roches encaissantes.

Dans les deux cas d'anatexie, la fusion des roches acides en présence de vapeur d'eau commence à moins de 700 °C.

Les magmas anatectiques qui se forment pendant l'anatexie régionale ont la composition chimique de la roche préexistante, laquelle est presque toujours dacitique ou rhyolitique, plus rarement andésitique. Dans l'anatexie de contact, qui se développe surtout dans les zones de fissuration de l'écorce terrestre, le magma basaltique, lourd, ne se mélange pas ou se mélange peu avec le magma acide anatectique, beaucoup plus léger. Ainsi, les deux types de roches peuvent s'épancher à la surface séparément et donner naissance à de grandes couvertures basaltiques avec de petits dômes de matériaux pyroclastiques rhyolitiques ou dacitiques, sans ou presque sans termes intermédiaires.

Des exemples d'anatexie de contact se trouvent notamment en Islande, à l'île de Pantelleria (Italie) et dans le Tibesti.

2°  L'assimilation

Au contact des grandes quantités de matière fondue, plus particulièrement des magmas anatectiques acides, avec les roches encaissantes ayant une composition très différente de celle du magma, prennent naissance des échanges dans les deux sens : la roche encaissante réchauffée est envahie par les gaz magmatiques et subit un métamorphisme de contact (elle se transforme en une roche pyrométamorphique) ; à son tour, le magma dissout et assimile une partie de la roche encaissante et modifie ainsi sa composition chimique. Ce processus prend le nom d'assimilation, et les magmas qui en découlent sont appelés magmas synthétiques.

Les transformations qui affectent la composition chimique des magmas sont évidentes si leur composition chimique et celle de la roche encaissante sont très différentes. Par exemple, au contact entre magma et roches carbonatées s'effectue une assimilation très forte : l'anhydride carbonique est éliminé, tandis que les oxydes de calcium et de magnésium sont assimilés par le magma. Il s'ensuit pour le magma une très forte perte passive en silice. Un exemple classique d'un processus analogue d'assimilation combinée avec une différenciation gravitative est celui du Monte Somma (Vésuve). Le magma originel, trachytique, est très probablement anatectique; par suite de l'assimilation de calcaires, il se transforme au fur et à mesure en un magma leucito-téphrytique et finalement leucitique.

3°  L'hybridisme

 On appelle hybridisme le mélange de deux magmas de composition chimique différente.

Les exemples d'hybridisme où un magma acide et un magma basaltique, très différents, se sont mélangés sans former un magma complètement homogène sont très nombreux. Dans d'autres cas, l'origine hybride des magmas homogènes de composition intermédiaire est encore l'objet de discussions.

e) L'origine des magmas

On sait actuellement avec certitude, grâce aux recherches géophysiques et géologiques, que la Terre est constituée par une croûte externe discontinue sous laquelle se trouve le manteau supérieur.

La croûte externe a, au niveau des continents, une épaisseur d'environ 35-40 km; elle est constituée essentiellement par des granités et des granodiorites qui, chimiquement, correspondent aux rhyolites et aux dacites. Les composants les plus importants de ces roches sont le silicium et l'aluminium, d'où le nom de sial que Suess a attribué à la croûte externe. Le manteau supérieur, étant riche en silice et en magnésium, est appelé sima.

La limite entre le sial et le sima est caractérisée par une discontinuité qui porte le nom du savant qui l'a découverte : c'est la discontinuité de Mohorovicic ou plus simplement Moho. La composition du manteau supérieur est encore discutée. De nombreux géophysiciens croient qu'il est formé de roches péridotitiques ou de dunites, composées par de l'olivine avec des quantités variables de pyroxènes, tandis que les volcanologues et les géochimistes lui attribuent une composition de basalte très riche en olivine. Il existe, dans le manteau, une zone dans laquelle les ondes sismiques se propagent avec une vitesse décroissante, appelée couche de basse vitesse ou Low Vetocity Layer (LVL). La LVL se trouve sous les océans à environ 60 km de profondeur, et sous les continents à environ 140 km. Les observations géophysiques et volcanologiques démontrent que les magmas basaltiques proviennent de la LVL. Pendant leur montée vers la surface, ils peuvent subir des différenciations qui, en dernier lieu, aboutissent à la formation de magmas trachytiques et phonolitiques en quantités relativement faibles.

Il serait absurde de vouloir expliquer de la sorte les très grandes quantités de magmas acides dacitiques ou rhyolitiques qui se trouvent dans les zones orogéniques. En effet, les plus récentes recherches pétrographiques et magmatologiques démontrent toujours plus clairement que les magmas acides sont engendrés par l'anatexie des roches sialiques, lesquelles, amenées à des profondeurs plus élevées (jusqu'à 80-90 km), subissent, pendant l'orogenèse, un réchauffement suffisant pour que leur fusion se produise.

La double origine des magmas, à partir du manteau supérieur pour les magmas basiques, et à partir de la croûte continentale pour les magmas acides, fournit une explication de la dualité du volcanisme.

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Luc Van Bellingen

 

 

 

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Le Plutonisme